Triptyque de souvenirs botaniques
par René de l'épine d'acanthe
Photos de Catherine Garnier et de Jean Lemerle, mise en ligne par J.-F. Perrot
- Le Mûrier Platane n’est pas un Mûrier greffé sur un Platane.
- Autour des Acanthes
- La fleur [des Empúries] que tu m’avais jetée
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Le Mûrier Platane n’est pas un Mûrier greffé sur un Platane.
(Honte à celui, qui a répandu l’idée d’une telle greffe!!!)
D’après la toute récente « Flora Gallica » (2015) cet arbre est une des 3 espèces de Mûrier (s. str.) existant en France (*). Son nom officiel latin valide est Morus kagayamae. On trouve aussi des synonymes M. platanifolia, M. bombycis et même M. japonica. En français, On ne devrait donc pas écrire Mûrier-Platane. Si on veut faire référence à Platane, on peut le nommer Mûrier à feuilles de Platane en raison d’une certaine ressemblance de ses feuilles à 3 lobes avec elles de nos Platanes. Il est originaire du Japon comme son nom spécifique peut le laisser penser. Il aurait été introduit en Europe en 1907 ou 1918, selon les sources. D’une manière générale, les Mûriers du genre Morus sont originaires des régions subtropicales d’Asie.
C’est un bel arbre d’ombrage, au port étalé avec un feuillage en parasol à l’extrémité d’un tronc bien droit, comme celui que nous avons observé sur la placette de Castelnou. Ses feuilles caduques tombent à l’automne. Les fleurs sont soit uniquement mâles soit uniquement femelles mais portées sur le même arbre. Pour la culture générale ( !), on parle alors d’arbres monoïques alors qu’en majorité les plantes sont hermaphrodites avec des fleurs portant à la fois des organes mâles (les étamines) et des organes femelles (les carpelles/pistils). Les fleurs femelles, après fécondation, donnent des fruits comparables aux « mûres » bien connues de nos ronces. Ces fruits sont rouges puis noirs à maturité. Ils sont juteux, très sucrés et comestibles (dégustation en frais, sirop, confitures et sorbets).
Le Mûrier-Platane sur la placette de Castelnou, le 3 juin 2015 au matin.
Hélas, ces mûres ont un sérieux inconvénient. Comme celles des ronces, en s’écrasant, leur jus tache énormément et s’abriter sous l’ombrage d’un mûrier ou y disposer une table avec une belle nappe blanche n’est pas trop recommandé ! Aussi les hommes, jamais à court d’idées, ont-ils créé des variétés stériles ne donnant pas de fruits, comme celle nommée « fruitless » en bon anglicisme.
(*) Les 2 autres espèces de « vrais » mûriers sont
- Morus alba, introduit au XIe siècle et cultivé en grand pour ses feuilles utilisées dans les élevages de Vers à soie.
- Morus nigra, introduit dès l’antiquité sur le pourtour de la Méditerranée et cultivé pour ses fruits.
- Noter qu’il existe aussi un « Mûrier à papier » (Broussonetia papyrifera ), originaire de Chine et du Japon où l'écorce fibreuse de ses branches sert (ou servait ?) à fabriquer, après macération, le "papier de Chine". Le genre Broussonetia (dédié à M. Broussonet botaniste montpelliérain 1761-1867) appartient à la même famille que le genre Morus mais il s’en distingue, entre autres, par son mode de reproduction. Dans le genre Broussonetia les sexes sont séparés : il y a non seulement des fleurs mâles et des fleurs femelles mais de plus ces fleurs sont portées par des individus différents. Il y a donc des individus seulement mâles et des individus seulement femelles (pour la culture générale (!), on parle alors d’arbre dioïque) ce qui, bien sûr, exige des trésors d’imagination pour que le pollen féconde la fleur femelle qui … peut alors se développer en fruit. Voici d’autres caractères permettant de distinguer les genres Brousonnetia et Morus, en plus de la dioecie du premier.
- Les bourgeons végétatifs sont coniques et à 2 ou 3 écailles chez B. alors qu'ils sont ovoïdes et à 2-6 écailles chez Morus
- Les rameaux de l'année sont tomenteux (poils abondants> 0.5mm) chez B. et ils sont glabres (ou à poils < à 0.5mm ) chez Morus
- Les feuilles de B. sont velues en dessous, très rudes au-dessus. Chez Morus il n’y a pas un caractère unique car variable selon les espèces
- Les fruits sont orangés à maturité chez B. alors qu'ils sont blanchâtres, roses, rouges ou noirâtres chez Morus.
Commentaire sur ma conduite… scientifique !!
J’ai voulu briller en vous racontant ce que j’avais tiré de ma conversation avec la castelnouvoise tranquillement assise devant son café, mais je n’avais vraiment pas assez réfléchi. En effet si on voyait clairement un bourrelet correspondant à une trace de greffe dans la partie supérieure du tronc, l’aspect de ce dernier ne présentait absolument pas les caractéristiques des Platanes avec leurs plaques irrégulières de couleurs différentes. De plus, à moins d’être un fervent défenseur de Lyssenko, il est peu probable qu’un botaniste ait pu réaliser avec succès une telle greffe entre deux genres aussi différents.
Je viens donc d’appeler la mairie de Castelnou. Mes très affables interlocuteurs, après m’avoir exprimé, déjà, la bienvenue pour un éventuel nouveau séjour, m’ont bien précisé que le mûrier de Castelnou ne donne pas de fruits !
Il est donc vraisemblable qu’à Castelnou, un Mûrier « stérile » a été greffé sur un individu normalement sexué.
- Morus alba, introduit au XIe siècle et cultivé en grand pour ses feuilles utilisées dans les élevages de Vers à soie.
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Autour des Acanthes
(à la suite de nos échanges sur les « Acanthes » au musée Maillol, avec Jean L.)
Les deux médecins du groupe s'interrogent sur de magnifiques acanthes
au jardin méditerranéen du Mas de la Serre, le 2 juin en fin d'après-midi.
En effet les Acanthes (Acanthus mollis), avec leurs fleurs blanches veinées de pourpre si décoratives, ont des propriétés médicinales.
Certes les feuilles d’Acanthes sont déjà bien célèbres par leur utilisation comme thème décoratif dans les chapiteaux corinthiens mais dès l'Antiquité, ces plantes furent utilisées en infusion pour leurs qualités diurétiques et également parce qu'elles combattaient la tuberculose pulmonaire et les irritations des organes digestifs. Les tanins, sels minéraux, mucilages que ces plantes contiennent sont des arguments pour justifier leur utilisation actuelle qui reste essentiellement externe.
Je mets, ci-dessous, à titre de sujet de conversation mondaine ( !), la copie d’informations relevées sur Internet.
PROPRIÉTÉS DE L'ACANTHE
Vulnéraire, émolliente, apéritive, cholérétique, anti-inflammatoire, cicatrisante, tonique. (*)
UTILISATIONS DE L'ACANTHE
Brûlures, contusions, diarrhée, problèmes digestifs, angine.
PHYTOTHÉRAPIE où l’on voit que la rédaction est du type vulgarisation pour grand public !!!
L’acanthe est utilisée dans le domaine de la phytothérapie pour ses propriétés « bienfaitrices » (sic). Elle possède avant tout une propriété apéritive. Ainsi, ceux qui ont un mauvais appétit seront bien comblés grâce à cette espèce. Hormis cet avantage, la plante a également une fonction anti-inflammatoire. Elle possède la vertu de rétablir « la fonction tissulaire » (sic) grâce à sa propriété émolliente. En cas de blessure, un remède à base d’acanthe est conseillé étant donné qu’un « élément présent dans la composition » (sic) de cette plante permet d’accélérer le processus de cicatrisation. La propriété cholérétique de la plante la rend aussi efficace contre l’insuffisance biliaire. L’acanthe permet ainsi de soigner la diarrhée, l’angine, les brûlures ou encore « la (sic) contusion ».
(*)
Plante apéritive qui aide à ouvrir l`appétit Plante cholérétique qui aide à augmenter les sécrétions biliaires Plante cicatrisante qui favorise la cicatrisation Plante diurétique qui favorise l`élimination des liquides Plante émolliente qui aide à assouplir la peau Plante tonique qui fortifie et stimule Plante vulnéraire qui favorise la guérison des plaies et des blessures
Vous pouvez voir que ces plantes représentent presque la panacée si on croit tous ces écrits. Comment peut-on vivre sans connaître ces informations … mais attention, l’automédication doit être prudente car il existe, aussi, un risque d’allergie. De toute façon il faut consulter un pharmacien ou un médecin pour toute médication par voie orale !!!!!!!!
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La fleur [des Empúries] que tu m’avais jetée
(comme il se chante dans « Carmen »)
Ces plantes, à fleurs bleues, ont été récoltées lors de la visite des ruines d’Empúries, juste avant de sortir de l’enceinte en se dirigeant vers l’amphithéâtre et la palestre, dans une zone qui n’a pas encore été fouillée. Elles étaient très abondantes et formaient un véritable champ joliment et intensément coloré (Irène dixit). Les photos jointes, bien précieuses, de Catherine, apportent des précisions complémentaires sur l’aspect général du site, (n°4800) ; la végétation vue de plus près, (n°4792) ; des détails avec en particulier l’abondance des ramifications dans tous les plans et les bouquets de fleurs (inflorescences) situés à l’extrémité de longs pédoncules (n°4972.4). Aucune odeur particulière n’a été ressentie lors de la récolte.
Voici la description aussi complète que possible faite à partir de l’échantillon desséché rapporté à Paris. Les dessins réalisés par Marie Claude Noailles (elle aussi « phycologue » et ancienne de UPMC) illustrent cette description.
- A1 : Tige principale. Elle est rigide, de 30 à 60 cm de hauteur, très ramifiée en tous sens, et présente des poils plus ou moins abondants selon les segments ainsi que des stries bien visibles.
- A2 & 3. Feuilles. Elles sont insérées sur la tige selon le mode « alterne ». Elles ne sont pas dans un seul plan mais leurs bases successives décrivent une spirale le long de la tige (la phyllotaxie précise n’a pas été notée lors de la récolte). Elles sont toutes de type « ternées ». Leur partie terminale (A2) est composée de 3 folioles très velues. La foliole terminale, avec un court « pétiolule », est légèrement plus développée que les 2 latérales qui sont opposées et directement insérées sur l’axe de la feuille. Leur partie basale (A3) correspond au pétiole de la feuille qui apparaît nettement plus long que la foliole terminale. Voir compléments sur dessin B.
- A4 : Stipules. Au nombre de 2, situées à la base de chaque feuille, papyracées, triangulaires, de 5mm longueur, elles sont donc bien différentes des folioles.
- A5 : Pédoncules floraux. Ils portent, chacun, à leur extrémité un bouquet de fleurs qui, en langage botanique, représente une inflorescence. Ils sont particulièrement développés et dépassent toujours largement la longueur des feuilles. Ils prennent naissance -comme il se doit- à l’aisselle des feuilles.
- A6 & 7 : Inflorescences & fleurs. Les inflorescences (A6) sont, chacune, constituées de 10 à 20 fleurs (A7). Lors de la récolte, chaque fleur présentait un aspect caractéristique de « Fabacées/Papilionacées », zygomorphe, avec en particulier un étendard bien développé. Aucune dissection n’a été réalisée sur le matériel frais. Toutes les observations sur les fleurs se rapportent au matériel sec. Voir compléments sur dessins C & D.
- B : Vue d’une portion de la face inférieure d’une foliole, entre sa nervure médiane (B1) et son bord (B2), après réhydratation pendant une nuit. Outre le réseau des nervures latérales, on distingue bien les nombreux poils (B3) ainsi que des structures jaunâtres, plus ou moins épidermiques (B4). Ce sont peut-être des glandes sécrétrices responsables de la coloration en jaune de l’eau de réhydratation et d’une certaine odeur non identifiée.
- C : Vue du calice d’une fleur. Sur le sec, les caractères précis de la corolle, des étamines, du pistil n’ont pu être observés. En revanche ceux du calice peuvent être bien précisés. On voit que le calice (C1), très velu, possède 5 dents dont une nettement écartée et légèrement plus longue que les 4 autres. Le tube du calice est plus long que ses dents. Le dessin montre aussi une partie du style avec le stigmate (C2) ainsi que des restes de corolle (C3).
- D : Vue de la base d’une inflorescence. Au sein des inflorescences, on observe des groupes de quelques fleurs plus ou moins indépendants. A la base des inflorescences on voit nettement une paire de bractées (D1), très velues, à 3 dents de longueur assez comparable à leur partie entière. Noter, sur cette vue agrandie, la présence de 2 calices (D2).
En utilisant les flores françaises (Flora Gallica, Fournier), les caractères observés conduisent à l’espèce Bituminaria bituminosa ….à l’exception (ô combien importante) de l’odeur de bitume non ressentie !!!? Y aurait-il influence de l’heure de la récolte faite en plein soleil qui pourrait modifier l’intensité de la fragrance ? Les pétales de roses angevines sont récoltés juste au lever du soleil pour fabriquer « l’eau de rose » car c’est à ce moment que le parfum est maximal. D’autre part les caractères paraissent parfois légèrement différents de ceux de l’espèce type. De plus il conviendrait, bien sûr, d’étudier plusieurs plantes pour apprécier la variabilité.
En conclusion considérons donc, pour l’instant, et jusqu’à une prochaine récolte et/ou des conseils de botanistes spécialistes de cette région, que les ruines d’Empúries nous ont fait connaître une forme particulière de Bituminaria bituminosa propre à la Catalogne.